« Nous avions pensé nos centres comme des relais géographiques, proches des transports publics et des quartiers d’habitation, malgré leur occupation à 70 % environ, nous ne trouvons pas de modèle économique et nous ne gagnons pas d’argent. »
Source : Les Échos
Un constat sans appel a été récemment dressé par Alain Dinin, PDG de Nexity, annonçant cette année la fermeture de plusieurs espaces de coworking Blue Office de la périphérie de Paris.
La phrase, lourde de sens, semble aussi sous-entendre que le cas Blue Office n’est pas isolé et que le coworking, s’il fait le buzz et capte de nouvelles cibles, peine toujours à trouver un modèle industriel viable.
Nexity est-il le pionnier d’une phase de « récession » après l’essor du phénomène coworking ? C’est peu probable… De nouveaux modèles vont voir le jour dès lors que nous, acteurs de l’immobilier professionnel, aurons réussi à clarifier le terme « coworking », actuellement malheureusement souvent utilisé à tort et à travers.
Le coworking en France, une histoire qui ne fait que commencer
La première utilisation du mot « coworking » recensée date de 1999 : c’est l’américain Bernard de Koven, game designer, écrivain et… « fun theorist » qui en est à l’origine. Loin de désigner des tiers‑lieu, Bernie cherchait alors à décrire une méthode pour travailler en collaboration, d’égal‑à‑égal.
Si, en Europe, des espaces pouvant être assimilés à des coworkings existaient depuis 1995 avec le C-Base (un hackerspace berlinois), c’est — comme souvent — du côté de la Silicon Valley que viendra l’explosion du phénomène. Hat Factory, le premier coworking « officiel » voit le jour en 2006 grâce au programmeur Brad Neuberg et Chris Messina (qui a aussi créé le Hashtag Twitter !).
La suite, on la connait. En France, le phénomène se développe rapidement et c’est La Cantine (désormais Numa) qui ouvre ses portes en 2008, suivi par l’apparition d’autres centres, d’abord dans la capitale puis partout sur le territoire français.
Flexibilité, convivialité et communauté
Plus qu’un espace de travail, le coworking c’est avant tout un état d’esprit. Par essence, un espace de coworking est avant tout un espace collaboratif. Il regroupe une communauté d’individus partageant des valeurs ou des intérêts communs. Chacun coopère, progresse, au contact d’autres coworkers. L’espace de travail est donc un environnement en perpétuelle mutation, ce qui implique une grande flexibilité des services et des besoins qui sont typiquement attendus dans ces espaces.
Flexibilité, convivialité et communauté sont les valeurs centrales du coworking depuis son origine. En France, de nombreux espaces érigent ce triumvirat comme un principe fondateur : on citera notamment La Cordée, Remix Coworking, Co-Start et Numa.
Mais le coworking c’est aussi un marché qui se rapproche de la maturité
Le modèle évolue.Avec le recul que procurent 20 années, on se rend compte queces valeurs fondatrices fédèrent et attirent de plus en plus de jeunes entreprises françaises. Mais, plus qu’un simple concept, c’est aussi (et surtout) le modèle de l’espace de travail collaboratif qui correspond sans doute le mieux aux générations contemporaines d’employés.
Les groupes historiques, les géants de l’immobilier, ne s’y sont pas trompé et développent leur propre offre de coworking en France. C’est notamment le cas de Nexity avec Blue Office (2014), de Bouygues avec Nextdoor (juin 2015) qui ouvrent des espaces à Paris.
Mais il est beaucoup plus difficile d’industrialiser le modèle du coworking pour les acteurs traditionnels de l’immobilier. À l’inverse d’un espace de travail classique, un coworking nécessite énormément de ressource humaine et le développement d’un grand nombre de services. Ainsi, en termes de gestion, il ne s’agit plus simplement d’être capable d’exploiter son portefeuille d’actifs. Un opérateur d’espaces de bureaux flexibles est avant tout un prestataire de service. Pour les géants de l’immobilier, plus qu’un métier, c’est toute une culture interne qu’il faut redéfinir.
Avec Hub-Grade, j’ai pu observer de façon privilégiée le fonctionnement des coworkings : la gestion d’espace de coworking est avant tout un métier de services, très proche du modèle hôtelier. Ainsi, pour apporter un service de standing et dans leur course effrénée pour conquérir un maximum de part de marché, les opérateurs de coworking ont besoin d’embaucher toujours plus de personnel pour gérer l’accueil, l’animation et l’événementiel. Pour en amortir ces coûts, il devient dès lors indispensable d’ouvrir des centres de plus en plus grands (entre 4 000 et 10 000 mètres carré). On s’éloigne alors allègrement du modèle communautaire et historique du coworking qui réunissait des freelances autour de problématiques communes dans quelques centaines de mètres carré.
Cependant, le modèle économique du coworking n’est pas encore stabilisé. Et ce sont souvent les franchises de loyers accordées par les propriétaires qui permettent aux opérateurs de rester à flot.
Les grands espaces de coworking pour les grands comptes ?
Cette course effrénée à laquelle se livre les grands acteurs pour sécuriser les meilleurs actifs et les parts de marché, créé une tension économique forte sur les ouvertures. Cela encourage les grands espaces à assurer leurs opérations en commercialisant une part importante de leurs tiers-lieux auprès de grands comptes pour des durées d’engagement de plusieurs années. On imagine mal un jeune graphiste freelance débourser près de 1 000 euros par mois pour un poste de travail dans le nouvel espace WeWork sur les Champs-Elysées.
De nouveau, on s’éloigne des principes fondateurs du coworking ! S’il est possible de créer une communauté à partir d’un conglomérat de freelances et de TPE, il est beaucoup plus compliqué, voire impossible, avec des équipes projets détachées de grands groupes.
De Bouygues à La Cordée : le (trop) grand écart ?
Dans le discours collectif, la plupart des acteurs de l’immobilier et des médias sont regroupés sous le même terme de « coworking » : tous les acteurs innovants du monde de l’immobilier flexible de bureaux, qu’il s’agisse du géant américain Wework, des acteurs historiques de l’immobilier (Nextdoor — Bouygues Immobilier ou Blue Office — Nexity) et d’autres espaces plus proches du modèle originel du coworking comme La Cordée ou Remix Coworking.
Tous ces différents types d’acteurs font-ils vraiment le même métier ? Quelle est la différence entre un centre d’affaires et un coworking de 10 000 m² si ce n’est la décoration et leur communication axée sur la communauté et le bien-être au travail ?
Ces dernières années, l’économie s’est transformée pour passer d’une économie de la propriété à une économie de l’usage. C’est à la lumière de cette notion que l’immobilier flexible prend tout son sens. Le modèle du coworking répond à ce besoin de flexibilité et d’usage plutôt qu’à l’idée de propriété. L’expansion du coworking a été rendue possible grâce à ce changement sociétal très profond. Mais, dans les faits, le business model des acteurs industriels du coworking est exactement le même que celui de Regus. Le leader du marché des centres d’affaires compte près de 3 000 sites dans le monde, loin devant Wework avec ses 260 espaces. Conscient que le vent est en train de tourner, le leader mondial du centre d’affaires développe depuis peu une nouvelle marque, “Spaces”, qui reprend les codes et la terminologie du coworking.
La force de WeWork a été d’être capable de rafraîchir un concept de centres d’affaires qui semblait vieillissant et de capter une tendance de marché impulsée par l’esprit initial du coworking et par la nouvelle génération, plus en demande de services, de bien-être au travail et de flex office.
L’expansion du marché amène l’entrée de nouveaux acteurs : les foncières
Après les acteurs historiques de l’immobilier, ce sont désormais les propriétaires et les foncières qui s’intéressent de près au phénomène : l’arrivée de ces nouveaux acteurs représente une nouvelle étape dans l’évolution du marché.
La Foncière des Régions et Gecina ont récemment ouvert leurs propres espaces de coworking afin de répondre à cette nouvelle demande et à ces nouveaux usages. Pour les foncières, l’enjeu est de tenter de remonter toute la chaîne de valeur en by-passant les intermédiaires (a.k.a les exploitants de coworking) et en délivrant eux-mêmes les services inhérents à un espace de coworking afin de maximiser la rentabilité de leurs actifs.
Un propriétaire peut ainsi aujourd’hui se passer de l’exploitant à la condition de réussir la transition entre la gestion patrimoniale et la prestation de service/office management.
Les foncières vont devoir transformer leurs organisations afin de réussir à se positionner comme des sociétés de services et non plus comme de simples exploitants d’actifs. À cette condition, elle pourrait alors se passer des exploitants et proposer une partie importante de leur patrimoine en immobilier flexible (coworking, centres d’affaires, flex office, centre de séminaires).
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