Avez-vous déjà rêvé de travailler dans une entreprise qui soit complètement à l’opposé de ce que vous avez toujours connu ? Une entreprise où le concept de hiérarchie et où la notion de leadership seraient complètement remis en question, où les salariés se dirigeraient eux-mêmes, une entreprise qui laisserait tous les collaborateurs prendre part aux décisions…
Eh bien cette idée porte un nom : c’est ce qu’on appelle l’entreprise libérée.
Mais qu’est-ce qu’une entreprise libérée, exactement ? Quel est le fonctionnement d’une entreprise libérée ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? S’agit-il d’un mode de management pérenne, ou bien d’une utopie ? Toutes les réponses à ces questions sont dans cet article !
Définition
Une entreprise libérée est une entreprise dont le management repose entièrement sur un principe simple : la confiance en l’Homme. Au menu : autonomie des équipes, hiérarchie horizontale et réduction des dispositifs de contrôle internes. Selon cette approche, chaque employé a donc la liberté de prendre des initiatives et de faire des choix pour l’avenir de l’entreprise, au même titre que ses supérieurs. Plutôt sympa, non ?
Cette nouvelle approche du management permettrait de créer un environnement de travail plus sain en plaçant l’humain au cœur de l’entreprise.
Pour les entreprises qui décident d’adopter cette organisation, de nombreux éléments sont donc à redéfinir. Le temps de travail et les horaires sont généralement choisis par les employés eux-mêmes et ils contribuent aux décisions stratégiques de l’entreprise de manière régulière.
Petite Histoire de l’entreprise libérée
Sur un blog, dans un article ou dans le dernier e-mail de votre copain entrepreneur : il est probable que vous ayez déjà croisé ce terme auparavant. Et pour cause, tout le monde (ou presque) en parle en ce moment ! Mais n’allez pas imaginer que le concept est nouveau… L’entreprise libérée, ça ne date pas d’hier !
La notion d’entreprise libérée, ou freedom-form company en anglais, a été employée pour la première fois en 1988 par Tom Peters, un auteur américain.
Il faudra cependant attendre 2009 pour que l’expression soit formalisée par un professeur à l’ESCP, Isaac Getz, et un journaliste économique américain, Brian M. Carney. Leur ouvrage Liberté & Cie, Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises est rapidement devenu une référence en France et en Europe pour quiconque s’intéresse au concept d’entreprise libérée.
Néanmoins, les entreprises libérées n’ont pas attendu Isaac Getz ou Brian Carney pour exister. Certains entrepreneurs ont en effet été des précurseurs.
Gore Tex : les prémices d’une nouvelle forme de management
Dans les années 1960, l’entreprise Gore Tex, leader dans la confection de tissu imperméable aux États-Unis, fut l’une des premières à mettre en place ce tout nouveau modèle de management. En effet, dès la création de l’entreprise, Bill Gore, le fondateur, a souhaité mettre en place des pratiques très différentes de celles qui régissaient le reste du monde du travail.
Cette envie a notamment été motivée par sa mauvaise expérience chez son employeur précédent, où il a trouvé que les salariés n’étaient pas assez pris en compte dans les décisions et qu’ils bénéficiaient de très peu d’autonomie et de prise d’initiatives.
À la recherche d’un nouveau modèle
Dès la création de son entreprise, Bill Gore a décidé que son entreprise ne serait pas comme les autres. Ainsi, chez Gore Tex, les cadres hiérarchiques ont été entièrement redessinés : les salariés de l’entreprise, appelés « associés« , n’avaient pas de manager mais un leader.
Le maître-mot chez Gore Tex ? Autonomie. Bill Gore est parti du principe que ses employés pouvaient se débrouiller tout seuls pour… à peu près tout ! Tant et si bien que l’évaluation de la productivité des employés n’était même pas faite par des supérieurs mais par les employés eux-mêmes. Ces derniers étaient tous régulièrement invités à se donner des notes entre eux.
60 ans plus tard, ce système de management a beaucoup évolué et fluctué, mais il est toujours en place. Le PDG est désormais élu par tous les associés-employés.
Un succès inspirant
Aujourd’hui, avec plus de 10 000 employés partout dans le monde, l’entreprise est non seulement considérée comme la première entreprise libérée jamais créée, mais elle est surtout un véritable modèle pour toutes les entreprises qui voudraient, à leur tour, opérer cette libération. Depuis 2010, Gore Tex reçoit la certification Great Place to Work chaque année et se classe parmi les dix premières entreprises du palmarès.
Favi, l’entreprise libérée à la française
L’entreprise libérée, ça n’existe pas qu’aux États-Unis ! L’exemple français le plus connu est certainement celui de Favi. En 1983, Jean-François Zobrist reprend la direction de Favi, une fonderie picarde en déclin d’environ 80 salariés. 26 ans plus tard, lorsqu’il quitte l’entreprise, elle compte 650 employés et est reconnue comme une référence dans son domaine.
La recette de cette réussite ? Le passage d’une entreprise au management classique à une entreprise libérée. Tout au long de son mandat de directeur, J-F. Zobrist a ainsi mis en place un système mettant l’accent sur l’autonomie et l’indépendance de chacun des collaborateurs.
Le fonctionnement des équipes
Au sein de l’usine, pas de chaîne hiérarchique de validation pour décider des horaires ou des congés des employés, ni de service qualité. Le système managérial tout entier a été repensé pour placer les collaborateurs au centre des réflexions.
En fonction de leurs besoins, les employés se répartissent en équipes travaillant pour un client ou une tâche précise. Chacun des ouvriers est responsable de ses tâches et de la qualité de son travail.
Au sein de chaque usine, une personne est ensuite élue pour devenir l’interlocuteur principal auprès des clients et pour gérer la vie quotidienne de l’atelier. Lorsqu’ils souhaitent revenir à leur poste initial ou si l’équipe le décide, un autre animateur est choisi à leur place.
Les principes fondamentaux de l’entreprise libérée
Si l’entreprise libérée est une notion que chaque entreprise peut s’approprier à sa façon, il existe néanmoins quelques concepts clés qui donnent un cadre aux actions à mener.
Moins de comment, plus de pourquoi
Le tout premier principe de l’entreprise libérée, c’est que le « pourquoi » prime toujours sur le « comment ». En d’autres termes, le patron de l’entreprise doit considérer que ses salariés savent comment faire leur travail et qu’il peut donc leur laisser la liberté de gérer leur activité comme ils le souhaitent.
Le « comment », la façon de faire, est donc décidée par les collaborateurs, alors que le patron décide du « pourquoi » en partageant sa vision avec ses salariés. Ainsi, l’accent est toujours mis sur le ou les objectifs à atteindre et non pas sur la manière d’y arriver.
Un système reposant sur la confiance
L’un des autres sujets centraux de l’organisation d’une entreprise libérée, c’est la confiance. En tant que dirigeant d’une entreprise libérée, la confiance que vous avez en vos équipes et en vos collaborateurs doit être absolue, puisque le fonctionnement de l’entreprise libérée repose sur l’autogestion des salariés.
Mais alors, cela équivaut-il à dire que tout le monde est digne de confiance, que personne n’en abusera jamais ? Non, pas exactement.
Il existe des risques, comme dans n’importe quelle autre organisation… Trahison, déception et autres aléas feront certainement partie de votre parcours si vous choisissez de libérer votre entreprise.
Cependant, le point de vue des chefs d’entreprise qui décident de se lancer dans cette aventure est que, à terme, ces aléas auront des conséquences mineures si on les compare à ceux rencontrés dans une organisation managériale classique.
Déconstruire la hiérarchie verticale
Autre point fondamental : la hiérarchie. L’entreprise libérée est, par définition, une entreprise qui s’affranchit d’un grand nombre de règles et de contraintes, dont la hiérarchie (ou tout du moins la vision traditionnelle de cette dernière).
Dans son ouvrage Liberté & Cie, Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, Isaac Getz écrit : « La liberté au travail, ce n’est ni la hiérarchie ni l’anarchie.«
Selon lui, la hiérarchie telle qu’elle existe dans une majorité d’entreprises aujourd’hui doit donc être complètement repensée. En fonction de ce que l’entreprise décide, elle peut supprimer des niveaux hiérarchiques, faire complètement disparaître les fonctions managériales ou encore les renommer. Dans tous les cas, le contrôle des collaborateurs est réduit au maximum et les barrières séparant dirigeants et salariés disparaissent pour laisser place à une organisation où l’avis de chacun est considéré.
Un système de rémunération différent
Mais dans une entreprise où la subordination et les règles sont réduites au strict minimum, comment décider de la rémunération des employés ? Plusieurs solutions peuvent être mises en place : certaines entreprises choisissent par exemple de laisser les salariés fixer eux-mêmes leurs salaires, tandis que d’autres les rémunèrent en fonction de leur formation et de leurs responsabilités.
Le principe général est que le système de rémunération d’une entreprise libérée doit être différent et plus équitable que celui d’une entreprise lambda. En dehors de cette ligne directrice, la base de la rémunération dans une entreprise libérée est le partage des bénéfices entre l’ensemble des salariés.
Et ce n’est pas tout : dans cette hiérarchie 2.0, les employés prennent généralement part aux décisions structurantes de la société comme la répartition des investissements ou encore la définition et le suivi des indicateurs clés de la productivité.
Faire le bon choix
L’entreprise libérée, avantages et inconvénients
Vous l’aurez compris, l’entreprise libérée est une forme de gestion peu commune qui demande d’avoir une vision durable des changements à mettre en place et de leurs chronologies. Si vous songez à entamer une transition vers une entreprise libérée, voici un récapitulatif de ses avantages et de ses inconvénients :
Inconvénients
- Le modèle repose presque entièrement sur les salariés et sur leur volonté. Si vos collaborateurs ne sont pas enthousiastes à l’idée que l’organisation de l’entreprise soit modifiée, c’est donc l’échec assuré.
- L’entreprise libérée enlève une grande partie des responsabilités aux managers et la redistribue aux managés. Cette forme de gestion sera donc très compliquée à mettre en place avec des managers “drivés” par leur l’égo.
- Trouver le juste milieu entre un système sans codes ni cadres et une organisation à la hiérarchie verticale n’est pas simple ! La libération d’une entreprise ne sous-entend pas qu’elle doive s’affranchir de toutes règles ou processus, bien au contraire. Il est donc primordial d’être le plus clair possible sur les actions ou initiatives qui resteront soumises à l’approbation d’un supérieur.
Avantages
- L’entreprise libérée permet une meilleure reconnaissance et une meilleure appréciation des compétences de vos collaborateurs. Ils peuvent ainsi s’investir dans des projets qui leur tiennent vraiment à cœur au sein de l’entreprise et développer des réflexions ou des perspectives nouvelles : votre entreprise bénéficie d’un véritable boost de créativité !
- Libérer son entreprise, c’est placer le bien-être de vos salariés avant tout : grâce à un mode de travail basé sur la confiance, les employés ressentent moins de stress et s’épanouissent dans leur travail. Selon Isaac Getz, « les contraintes leur donnent l’impression de n’exercer aucun contrôle sur leur vie professionnelle, ce qui, à son tour, engendre du stress, de la fatigue et de la démotivation« .
Une structure qui ne plaît pas à tout le monde
Vous avez envie de vous lancer ? Sachez que la question de l’intérêt et de la viabilité de l’entreprise libérée divise encore parfois. Ainsi, il est possible qu’une partie de vos employés décide de quitter votre entreprise lorsque vous annoncerez ce changement de management. En effet, ce mode de management encore peu connu et répandu en France peut être mal perçu chez vos salariés…
Au sein de la biscuiterie Poult, plusieurs salariés sont par exemple partis lorsque la direction a annoncé qu’une transition pour libérer l’entreprise allait s’opérer et que les employés seraient désormais plus autonomes dans leur gestion du travail.
Chez Zappos, une entreprise américaine spécialisée dans la vente de chaussures et de vêtements en ligne, c’est plus de 10% des employés qui ont tout simplement quitté leurs postes suite à la décision du PDG de libérer l’entreprise.
Face à ce type de réaction, les chefs d’entreprise décident parfois de rétro-pédaler. C’est ce qu’à finalement décidé de faire le CEO de Zappos, qui a stoppé le processus de changement de management. Malgré quelques démissions, la biscuiterie Poult a quant à elle réussi à convaincre la majorité de ses salariés des avantages de l’entreprise libérée et fonctionne toujours ainsi aujourd’hui.
En conclusion, n’oubliez pas qu’il est primordial de vous montrer à l’écoute des inquiétudes et des interrogations de vos salariés lorsque vous leur partagerez la nouvelle. N’hésitez pas à leur donner des exemples d’entreprises qui ont réussi cette transition managériale. Enfin, sachez faire preuve de pédagogie ! Vos salariés se montreront plus enthousiastes s’ils comprennent ce que les changements que vous allez mettre en place impliquent et quels seront les bénéfices qu’ils en tireront.
L’entreprise libérée, une bonne idée peu importe le secteur ?
L’idée de changer la structure de votre entreprise pour en faire une entreprise libérée vous tente mais vous vous demandez si votre activité est vraiment adaptée à ce genre de fonctionnement ?
Sachez que peu importe votre domaine, il existe certainement déjà une ou plusieurs entreprises ou organisations qui ont fait le choix de devenir des entreprises libérées ! Alors, pourquoi ne pas faire équipe avec elles pour qu’elles vous guident dans cette transformation pleine de sens ?
Les entreprises qui ont déjà sauté le pas
Voici quelques exemples d’entreprises qui se sont déjà « libérées » :
Décathlon
Depuis 2016, Décathlon a décidé de changer son management pour libérer l’entreprise et permettre aux employés de développer leur potentiel au maximum. Pour cela, Décathlon donne la possibilité à tous ses employés, peu importe leur séniorité dans l’entreprise, d’accéder à n’importe quel poste chez Décathlon. Ainsi, au lieu de gravir les échelons au fur et à mesure des années passées dans l’entreprise, les salariés peuvent être promus à des postes à des responsabilités de manière très rapide. Des coachs ou référents métiers accompagnent en interne les jeunes talents pour les mener vers le projet qui les intéressent.
Kiabi
Kiabi est l’un des exemples les plus médiatisés des entreprises qui se sont libérées avec succès : depuis 2012, Kiabi a donc entièrement redéfini les rôles de managers et modifier sa communication interne. Au programme : des réseaux de communication interne permettant à chaque employé d’être au courant des décisions en même temps que leurs supérieurs hiérarchiques et directeurs.
Airbus
Une partie de la production d’Airbus est elle aussi libérée depuis plusieurs années. Les 7 mini-usines qui composent le site de Saint-Nazaire ont adopté un fonctionnement basé sur les décisions collectives, la confiance et le renouvellement régulier de leaders élus par les équipiers eux-mêmes.
Orangina Suntory
Avec environ 700 salariés, Orangina fait elle aussi partie du cercle restreint des entreprises françaises qui se sont libérées ou « responsabilisées » ces dernières années. En 2014, Thierry Gaillard, alors PDG de l’entreprise, décide de miser sur la communication et la transparence : autonomie maximale dans la prise de décision pour les collaborateurs, réunions mensuelles pour discuter des objectifs, soucis ou questions de chacun et une boîte aux lettres à disposition des salariés pour qu’ils puissent poser des questions de manière anonyme. Chez Orangina, les salariés définissent chaque année les objectifs d’un plan de développement personnel, comme par exemple une meilleure aisance lors des prises de parole publiques ou de meilleures relations avec ses collègues.
Michelin
Le leader de la fabrication de pneumatiques Michelin compte aujourd’hui un peu plus de 120 000 collaborateurs autour du monde. L’entreprise a démarré une transition vers une organisation libérée il y a une dizaine d’années. Si le mouvement a d’abord démarré à petite échelle dans plusieurs usines chinoises, c’est désormais plus de 80% des usines Michelin dans le monde qui sont libérées.