Nicole Dubois, Architecte d’intérieur et fondatrice de l’agence Dédale, répond à toutes nos questions sur l’aménagement des espaces de bureau flexibles
Hub-Grade : Pouvez-vous vous présenter et nous présenter l’agence Dédale ?
« Je suis Nicole Dubois, architecte d’intérieur depuis plus de 30 ans. J’exerce un métier / passion et j’aime qu’il m’ouvre les portes de nouveaux lieux et de nouveaux univers.«
« L’agence DEDALE est une agence d’architecture d’intérieur et de design qui crée des lieux de vie pour les clientèles du monde tertiaire et de l’hôtellerie. Nous intervenons aussi auprès de promoteurs sur des programmes de logements, et enfin pour les lieux de vie privée des personnes que l’on a rencontrées.
L’agence n’a pas de ‘signature déco’, son ADN est dans l’accompagnement des ‘histoires’ de ses clients, le souhait de comprendre leurs besoins et leurs envies. Notre sensibilité passe aussi par l’artistique, nous sommes des facilitateurs dans cette démarche vers les artisans, les EPV (Entreprises du Patrimoine Vivant) et les artistes.”
Hub-Grade : Comment conçoit-on l’aménagement d’un espace de coworking ? Quelles sont les étapes incontournables de votre approche ?
Nicole : “Comme pour tout lieu, on cherche ce qui est particulier. Dans ce cas, cela tient dans le mot ‘coworking’, où les notions de ‘partage’ et de ‘ensemble’ sont dominantes. Comme dans les espaces tertiaires liés à une entreprise, je crée un lieu qui regroupe des espaces partagés (les salles de déjeuner, les espaces de repos, certains postes de travail) et des espaces privatisés (des bureaux fermés et des espaces de réunion).
Les espaces de coworking ont du sens parce qu’ils proposent une expérience de proximité plus intense que celle vécue en entreprise et différente de celle du télétravail.
Dans les espaces de colocation d’entreprises Focus, par exemple, la clientèle investit des espaces privatisés pour une durée assez longue. Les espaces partagés permettent des moments d’ouverture vers l’autre en partage d’expérience ou des temps de pause, de décompression.
Le lieu fonctionne bien si les circulations sont fluides, si les points de repères sont évidents, si la transparence ou les points de vue permettent d’anticiper l’occupation des lieux partagés.
Il y quelques règles de vie à mettre en place, penser qu’au-delà de 8 personnes, la vie dans un espace partagé devient compliquée. Créer des coupures, des respirations procure du confort, pour l’individu et le groupe.
Une approche intéressante à été théorisée, c’est l’ABW (Activity Base Working). Pour illustrer cette démarche, il s’agit d’analyser la répartition de nos tâches. Par exemple, on peut être à 80% de notre temps en poste devant son PC, à réaliser des tâches de type développement, analyse, présentation. Les autres 20% peuvent être les plus importants s’ils permettent d’organiser le reste de notre travail, s’il faut être en lien direct avec d’autres collaborateurs ou encore s’il faut innover, convaincre. Des espaces, des outils, des ambiances et un confort très différents peuvent correspondre à ces temps d’activité d’une même personne.
Un espace de coworking conçu en ayant cette vision en tête offre la possibilité de réaliser : ‘les bonnes tâches au bon endroit, dans les bonnes conditions’. Et ceci, quelle que soit la taille de l’équipe, de l’entreprise. Sortir de son bureau c’est aussi laisser l’imprévu devenir inspiration.”
Hub-Grade : Comment décririez-vous votre rôle dans un projet d’aménagement de bureaux ?
Nicole : “Mon rôle consiste à faire émerger les vraies questions que l’entreprise doit se poser à l’occasion d’un aménagement de bureaux ou d’un transfert. L’architecte d’intérieur est le maître d’œuvre ; le client utilisateur est le maître d’ouvrage. Notre travail en tant qu’architectes d’intérieur est d’interroger l’entreprise sur ses envies et ses volontés. On doit décrypter ses besoins et apporter des éléments de réponse concrets, au-delà du “j’aime / je n’aime pas” . Notre objectif est de comprendre comment s’applique la culture d’entreprise dans la réalité pour faciliter la reconnaissance des utilisateurs dans leur environnement de travail et permettre que la culture d’entreprise s’exprime.
On assiste le maître d’ouvrage de l’origine du projet, jusqu’à l’emménagement, de l’animation du groupe d’ambassadeur à celui des corps de métier du bâtiment et on passe le relai pour que le projet d’entreprise investisse les espaces.”
Hub-Grade : Abordez-vous un espace avec une démarche différente lorsqu’il s’agit de l’aménagement d’un coworking VS un espace de bureaux dédié à un preneur unique ?
Nicole : “Non je ne l’aborde pas différemment, la démarche reste la même. Quels que soient les besoins et les sites, la capacité d’adaptation et l’agilité sont toujours nécessaires.”
N.D.L.R Hub-Grade : ainsi, tous les espaces de coworking ou de flex office ne se ressemblent pas. Il est important, lorsque l’on recherche un tel espace pour son entreprise, de savoir sélectionner celui qui proposera l’offre qui vous conviendra le mieux.
Hub-Grade : Votre métier est un subtil équilibre entre créativité (des plans, de la déco), rigueur (bonne exécution), et orchestration des parties prenantes (client final et artisans). À titre personnel, parmi ces casquettes, laquelle vous anime le plus ?
Nicole : “La casquette qui m’anime le plus, c’est évidemment la rencontre. La rencontre avec l’entreprise, le maître d’ouvrage et la compréhension de son besoin, mais également la rencontre avec le lieu et ce qu’il va devenir. Donc oui, j’aime la rencontre, mais également la présentation des premières intentions, présenter nos idées en tenant compte du cahier des charges, des envies et des besoins du maître d’ouvrage et de voir la satisfaction des utilisateurs face à la concrétisation de leur projet, c’est ce que j’attends le plus, au-delà même de la finalité du lieu.”
Hub-Grade : On parle beaucoup de l’influence de la Silicon Valley, de WeWork et plus globalement des US sur l’aménagement de bureaux, vous est-il arrivé de vous inspirer de solutions que vous auriez rencontrées à l’étranger ?
Nicole : “Oui notamment en juin 2019, à New York pendant la Workplace Week, j’ai visité un espace de travail conçu avec une immense liberté de mouvement, permettant littéralement de travailler où on le souhaite car il n’y avait jamais besoin d’aller chercher une prise quelque part, des batteries portatives permettaient d’être autonome toute la journée avec son portable. Un outil (qu’on ne voit pas encore en France) qui vous rend nomade et autonome.
De l’expérience de la Silicon Valley et de WeWork, on retient surtout aujourd’hui qu’ils étaient précurseurs en termes d’aménagement pour amener du loisir dans les espaces. On a gardé les solutions comme les babyfoots, les toboggans, les balançoires… Mais cela vient en soutien à une manière de vivre, un droit du travail bien différent du nôtre. Importer l’apparence des modèles, les trucs et astuces sans comprendre l’histoire qu’il y a derrière, c’est dénaturer la qualité de vie que ces espaces produisent et les systématiser sans en comprendre les réelles raisons, c’est créer des coquilles vides.”
Hub-Grade : Quelles sont vos influences en matière de décoration et d’aménagement ?
Nicole : “Tout, l’évolution des usages et du langage, les sciences et les technologies, la mode et les expressions artistiques, les relations humaines et virtuelles, la ville qui s’urbanise et les destinations loisirs… De plus, les salons professionnels sont l’occasion de s’enrichir par les multi marques et l’international. Il ne s’agit pas de tout connaître mais de construire sa culture avec suffisamment d’influences pour se placer dans l’univers de nos clients et les emmener un peu plus loin que là où ils seraient allés seuls.”
Hub-Grade : Le coworking a débarqué en France il y a maintenant presque une dizaine d’années, avez-vous constaté des changements — majeurs ou non — dans la conception et l’aménagement des espaces de bureaux sur cette période ?
Nicole : “Les aménagements des espaces de coworking sont liés aux changements des usages.
Au départ, les espaces de coworking se sont formés autour du besoin de “regroupement”, de la nécessité d’être ensemble, en soutien les uns des autres autour d’une idée, d’une envie partagée.
Puis on a rêvé devant les décors autour du « gaming », avec les images des grandes entreprises internationales, l’affichage d’une course aux modes de vie exceptionnels, avec des espaces très singuliers. Cet extrême reste l’image de certains groupes, le babyfoot se sent seul en France.
La grande tendance qui a trouvé sa place en France ce sont les espaces avec un confort ‘comme à la maison’, allant jusqu’à des créations de communautés autour d’un lieu.”
Aujourd’hui l’évolution va vers le ‘mieux qu’à la maison’ avec une qualité d’accueil de type hôtellerie, avec des services , des mobiliers et des décors sophistiqués.
Hub-Grade : Quelle est la demande la plus singulière que vous ayez reçue ?
Nicole : « C’est le monde sportif qui m’a le plus étonnée, par sa capacité à accueillir les victoires, par son sens du juste moment pour performer et sa compréhension de l’indispensable préparation et par l‘équilibre des individualités et du collectif. Je pense à un défi que l’on a relevé : transformer un restaurant avec sa cuisine en un studio de télévision et salle de rédaction en 3 mois (étude et chantier) pour les premiers pas de l’OLTV (chaîne de télévision lyonnaise, aujourd’hui OL Play) à Gerland. Je pense aussi à une démarche innovante en co-construction : réaliser le camp de base de Babolat Europe en 2016 à Vaise en quittant un site historique de la marque. Nous étions en avance sur l’histoire.”
Hub-Grade : Selon vous, quelle est l’ultime faute de goût ?
Nicole : “La notion de goût ou de bon goût est souvent affaire de mode ou de culture. La faute de goût est pour moi une question de point de vue et d’objectif : l’intention est-elle de choquer, de déranger, de s’adresser seulement à des initiés ou de séduire, de réunir en s’adressant à tous ou à des initiés ? La question suivante du même ordre est celle de la définition de la beauté.”
Hub-Grade : Quels impacts l’aménagement et la décoration des espaces de travail ont-ils sur le bien-être des collaborateurs ?
Nicole : “La notion de ‘qualité de vie au travail’ (QVT) se conçoit comme un sentiment de bien-être au travail perçu à la fois collectivement et individuellement. Les espaces et les interactions sont à l’origine, et les résultantes de l’ambiance et de la culture de l’entreprise, de l’intérêt du travail et des conditions de travail. Ce sont la vitrine de l’attention portée dans l’entreprise au sentiment d’implication, au degré d’autonomie et de responsabilisation, à la reconnaissance et la valorisation du travail effectué.
La création ou le réaménagement d’un lieu permettent de placer au centre des attentions l’organisation du travail qui concilie l’amélioration des conditions de travail et de vie pour les salariés et la performance de l’entreprise, ce que j’appelle le projet d’entreprise.
En écoutant l’histoire de l’entreprise et son projet, on peut créer un lieu qui donne vie à ses valeurs et favorise une belle démarche de QVT sans pour autant être des magiciennes.”
Hub-Grade : La protection de l’environnement est une préoccupation qui touche aujourd’hui tous les secteurs d’activité, selon vous, que peut (doit) faire le secteur de l’aménagement de bureaux pour contribuer à cet effort collectif ?
Nicole : “Avant tout, on accueille toutes les démarches du client. Le choix des matériaux sort d’un temps où le green washing dominait. L’écologie et le respect de l’environnement passent aussi par la bonne gestion des chantiers, des approvisionnement, par le tri des déchets et les chantiers propres, par le choix de l’artisanat local, par la bonne gestion du lieu que l’entreprise quitte et/ou intègre en pensant le réemploi ou le recyclage du matériel, démarche favorisée par les nouvelles filières. Il faut une volonté affichée et du sens pour intégrer les sujets de budget et de délai liés à cette démarche, pour composer avec les besoins des utilisateurs pour produire des bureaux les plus ‘bas carbone possibles’.”
Hub-Grade : Personnellement, vous préférez : rendre un espace de coworking unique ou offrir un lieu qui peut plaire au plus grand nombre ? Peut-on allier les deux ?
Nicole : “Je dirais que par définition, un espace de coworking doit être unique. C’est l’entreprise au final qui définit comment l’espace sera, car on se base sur leur ADN et leur histoire pour faire des propositions. Ce qui compte, c’est que les utilisateurs, que ce soient des travailleurs nomades ou une entreprise, se reconnaissent dans cet espace. Le bureau, le coworking maintenant, c’est une expérience qu’il faut vivre, et un espace impersonnel ne plaira de toute façon pas au plus grand monde.”
Hub-Grade : À votre avis, dans quelles conditions le monde de demain travaillera-t-il ?
Nicole : “Il sera serviciel. Avec le télétravail arrivé après le Covid et le changement de consommation des espaces qui se rapprochent de l’hôtellerie, le travail va devenir encore plus une expérience et les espaces de travail porteront cet aspect social.”